Une friche industrielle comme il en existe aujourd'hui des centaines dans la cit? d?chue de l'automobile. Sur le c?t?, un immense garage, dont les poutrelles m?talliques ont toutes les peines du monde ? soutenir une toiture dont on devine qu'elle a ?t? en verre.
Lire : Une association veut reconvertir le site pour les touristesC'est tout ce qui reste de l'usine Ford d'Highland Park, qui fut au d?but du XXe si?cle la plus grande du monde. Il y a tout juste un si?cle, Henry Ford y inaugurait la premi?re cha?ne de production automatis?e.
Woodward Avenue et Highland Park : deux destins li?s. Si l'une a ?t? la premi?re route goudronn?e d'Am?rique, c'est parce que l'autre a contribu? ? faire acc?der des millions d'Am?ricains ? l'automobile.
"LA MAISON DU MOD?LE T"
Seul un minuscule panneau sur lequel on lit "Home of Model T" ("la maison du mod?le T", la l?gendaire voiture fabriqu?e par Ford ? partir de 1908) t?moigne d'un pass? industriel aussi riche que r?volu : "Ici, ? l'usine d'Highland Park, Henry Ford a commenc? en 1913 la production de masse des automobiles sur une cha?ne d'assemblage (...) allait bient?t se diffuser dans toute l'industrie am?ricaine et cr?er un mod?le d'abondance pour le XXe si?cle."
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De cet ?ge d'or, il ne reste plus grand-chose. L'usine, qu'on appelait autrefois le "Crystal Palace" ? cause de ses larges baies vitr?es, a ?t? en grande partie d?truite. Les cinq immenses chemin?es qui ?taient juch?es sur le b?timent principal et l'enseigne Ford Motor Company, qui s'illuminait en lettres rouges, ont disparu. Du complexe industriel dessin? par l'architecte Albert Kahn ne restent plus que deux b?timents en piteux ?tat.
Difficile d'imaginer que c'est ici, le 7 octobre 1913, que la premi?re cha?ne de montage automatis?e voyait le jour. Henry Ford en avait eu l'id?e en visitant, lorsqu'il ?tait adolescent, les abattoirs d'Union Stock Yards ? Chicago. Les carcasses ?taient dispos?es sur des chariots d?filant devant des bouchers, qui eux ?taient immobiles, permettant ainsi une transformation plus rapide de la viande.
Visuel interactif : Detroit : la chute de "Motor City"Lorsqu'il lance la production de la Ford T, Henry Ford a d?j? l'obsession de l'efficacit?. "Je veux construire une automobile pour les masses", explique-t-il. A l'?poque, les constructeurs am?ricains Olds, Dodge, Chevrolet, Buick et bien s?r Ford se livrent ? une rude comp?tition pour arriver ? produire une voiture ? moins de 1 000 dollars. C'est Ford qui y parvient le premier, ce qui va tr?s vite l'inciter ? installer une cha?ne d'assemblage pour consolider son avance.
STANDARDISATION DES PRODUITS
D?s 1908, le patron a compris que son usine historique de Piquette n'est plus adapt?e au passage ? la production de masse et commande ? Albert Kahn un site r?volutionnaire de par ses dimensions, capable d'accueillir les cha?nes de production.
"L'homme qui met une pi?ce ne la serre pas. L'homme qui pose un boulon ne pose pas l'?crou et celui qui pose l'?crou ne le serre pas. (...) Tout bouge dans l'atelier. (...) Aucun ouvrier n'a plus ? se d?placer ni ? lever quoi que ce soit", d?crit Henry Ford dans son livre autobiographique, My Life and Work, paru aux Etats-Unis en 1922.
Lire : La Maison Blanche vole au secours de Detroit en faillite"Si vous ?conomisez dix pas par jour ? chacun des 12 000 employ?s, vous ?conomiserez 75 kilom?tres de mouvement gaspill? et d'?nergie inutile", calcule le patron, qui ne sait pas encore qu'il vient d'inventer le fordisme : le travail ? la cha?ne, coupl? ? une standardisation des produits, permet des gains de productivit?, qui sont pour partie r?troc?d?s aux ouvriers. En ?change des cadences qui s'acc?l?rent, on donne l'espoir d'acc?der au r?ve automobile et ? la classe moyenne.
"Ce mode de production, fortement inspir? des th?ories de Frederick Taylor pour lequel Ford ?prouve beaucoup d'admiration, offre des emplois aux ouvriers les moins qualifi?s, y compris les Noirs et les handicap?s, augmente la production et abaisse les prix de revient", souligne l'historien sp?cialiste des Etats-Unis Andr? Kaspi. Jusque-l?, la moyenne pour assembler un ch?ssis ?tait de 12,5 heures.
LE PRIX DE LA VOITURE NE CESSE DE BAISSER
La cha?ne mobile fait tomber ce d?lai ? 1 heure 33 minutes. En une ann?e, la production double, sans que les effectifs changent. Et le prix de la voiture ne cesse de baisser : de 825 dollars en 1908, il passe ? 490 en 1914 pour arriver ? 290 dollars en 1924. C'est environ le prix d'un cheval ? l'?poque. Et, comme Ford paye ses ouvriers trois fois mieux que ses concurrents – environ 5 dollars par jour– , ils sont en capacit? de devenir les premiers clients du constructeur.
Pour r?volutionnaire qu'il soit, le concept du fordisme mettra du temps ? se g?n?raliser. En fait, c'est l'industrie de l'armement qui va commencer ? s'en emparer au moment de la premi?re guerre mondiale. Andr? Citro?n, qui a visit? Highland Park peu avant 1914, ?quipe son usine d'armement du quai de Javel, dans le 15e arrondissement de Paris, d'une cha?ne mobile pour augmenter la production des fameux obus de 75 mm. Ce n'est qu'au sortir de la guerre qu'il d?cide de reconvertir le site pour assembler des automobiles.
"En 1918, Andr? Citro?n est le seul ? prendre le risque de passer ? la fabrication industrielle, explique l'historien Jean-Louis Loubet. Les constructeurs install?s, comme Peugeot ou Renault, estiment qu'il n'y a pas de march? de masse en Europe et qu'il n'y a aucune raison de changer leurs m?thodes de production artisanales, qui ont fait leurs preuves avant-guerre. Andr? Citro?n n'avait pas le carcan de cette exp?rience et a tout de suite anticip? que le march? serait d?sormais europ?en." De fait, d?s la fin des ann?es 1920, une Citro?n sur deux est export?e.
La cha?ne de montage, qui demande des investissements colossaux, va provoquer un bouleversement du secteur. Avant-guerre, il y avait 150 constructeurs en France, tr?s vite il ne va en rester que quelques dizaines. Si Citro?n fait la course en t?te avec la Type A, qui s'inspire des voitures am?ricaines de l'?poque, Renault n'installera sa premi?re cha?ne qu'avec l'ouverture de l'usine de l'?le Seguin, en 1926, et Peugeot ne commencera qu'en 1929, ? Sochaux, avec la 201.
MORGAN OU ROCKEFELLER JOUENT LE JEU DE L'INDUSTRIE
Aux Etats-Unis, la g?n?ralisation de la cha?ne de montage est beaucoup plus rapide. Contrairement aux banques fran?aises, Morgan ou Rockefeller jouent le jeu de l'industrie et financent les investissements n?cessaires. Mais Henry Ford, rest? prisonnier d'une standardisation trop pouss?e, va tarder ? faire ?voluer son mod?le industriel.
Alfred Sloan, le patron de General Motors, lui, a compris tr?s vite qu'il ne suffit pas de faire de la grande s?rie, mais qu'il faut aussi ?tre capable de proposer de la vari?t? pour s?duire une client?le qui s'?largit et qui, avec la progression du pouvoir d'achat, a des envies et des go?ts de plus en plus sophistiqu?s.
Sur une m?me cha?ne de montage, Alfred Sloan est capable de faire d?filer des mod?les dont les carrosseries et les finitions peuvent diff?rer, mais qui partagent d?j? beaucoup d'?l?ments communs. "De ce point de vue, on peut dire que c'est Sloan qui a invent? la plate-forme, qui est ? l'origine de toute l'industrie automobile moderne", souligne M. Loubet.
Taiichi Ono, l'inventeur du toyotisme, va sophistiquer un peu plus le processus en rendant les petites s?ries de production rentables gr?ce au juste-?-temps, qui permet de r?duire encore les co?ts de production. La cha?ne de montage fonctionne en flux tendu, selon le volume de commandes, ce qui permet de r?duire les stocks.
Quant ? Highland Park, l'usine est n?e avec la Ford T, elle p?riclitera en m?me temps que le mod?le. Produite ? 15 millions d'exemplaires, la voiture sera remplac?e par la Ford A en d?cembre 1927, qui, elle, sera assembl?e sur le site de River Rouge (Michigan). Highland Park en est alors r?duite ? produire des tracteurs avant de fermer d?finitivement en 1973.
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